vendredi 26 novembre 2010

Une matinée au gynestan occidental


Valentin se lève, il est 6 heures. Il a éteint le réveil dès la première sonnerie, comme d'habitude. Dans le lit voisin, Gertrude n'a que très vaguement grommelé avant de se rendormir. Valentin sort de la chambre sans allumer la lumière. Il connaît par cœur l'emplacement de chaque coussin, de chaque peluche et de chacun des bibelots qui renforcent le caractère intime de cette pièce.

Valentin descend l'escalier en prenant soin de poser le pied sur le coté des marches. C'est qu'il a tendance à grincer ce vieil édifice! Arrivé au bas des marches, il se dirige vers les toilettes du rez-de-chaussée, referme la porte sans la claquer et après avoir relevé la lunette, s'apprête à uriner en visant juste.

Malheureusement pour lui, une petite érection matinale l'empêche de réaliser l'opération simplement. Il va falloir qu'il se recule et se penche en avant en faisant confiance à son sens de la balistique. Enfin il se soulage. Au fur et à mesure que sa vessie se vide et que l'érection diminue, il se redresse et se rapproche du réceptacle, pensant finir en beauté. Hélas, les ultimes gouttes sont traîtresses et malgré ses efforts, le carrelage est bel et bien souillé.

Valentin essuie les quelques taches avec du papier hygiénique qu'il jette ensuite dans la cuvette, puis va chercher un papier absorbant imbibé de désinfectant, le passe sur le sol déjà sec, le jette à son tour et enfin tire la chasse en appuyant sur le poussoir permettant d'économiser l'eau. Il sort, non sans avoir redescendu la lunette, et se rend directement dans la salle de bain.

Après s'être appliqué une crème dépilatoire sur le torse et sous les aisselles puis s'être dûment raclé l'épiderme, Valentin fait disparaître les résidus de sa pilosité avec l'eau de sa douche. Une fois séché, un demi-citron passé aux endroits concernés pour éviter les rougeurs puis un lait hydratant pour aider la peau à reformer son film protecteur naturel. Rasage, après-rasage, sèche cheveux, brosse à dent et gel structurant, il est temps qu'il cesse de ne s'occuper que de lui même.

Arrivé dans la cuisine, Valentin entame la préparation des petits déjeuners. Rien que des produits issus du commerce équitable. Des céréales et du lait pour les enfants, du thé noir à la bergamote accompagné de tartines de miel au tilleul bio pour Gertrude et le premier des cinq fruits de la journée pour chacun des membres chacune des personnes de la famille.

Pendant que le thé infuse, Valentin a juste le temps de passer un rapide coup de cirage sur les escarpins de sa compagne. Il dispose pour cela la paire de souliers sur un vieux journal plié en quatre. Tout en brossant, il lit machinalement un article du passé:

"Je suis venu parce que mon ex-femme a ruiné ma vie. Elle m’a tout pris, ma maison, mon salaire et surtout mes enfants. Les hommes n’ont plus aucun droit!» Thomas est un père en révolte. Ce quadra lessivé par la vie raconte son malheur sur le chemin qui nous mène au lieu de rencontre. C'est dans un hôtel de la campagne zurichoise, lieu tenu secret jusqu’au dernier moment, que s’est déroulé hier le premier Congrès antiféministe suisse.
Thomas déballe tout: les enfants qui le détestent parce que «leur mère les a ligués contre» lui; les accusations d’attouchement sexuel, jusqu’à la misérable somme d’argent qui lui reste par mois pour vivre.
Comme tous les «antiféministes», il a été averti par SMS le matin même d’un parcours destiné à brouiller les pistes. «9 h 15 à l’aéroport de Zurich, Terminal A. Panneau «Seminar Egala». Prendre papiers d’identité».
Les journalistes se sont engagés par écrit à ne pas divulguer le lieu de rendez-vous, ni l’identité des participants. Chacun s’est ensuite fait remettre un itinéraire menant au fin fond de la campagne.
Pourquoi tant de précautions? A cause des menaces proférées par des «groupes de gauche». A cause des tags sprayés dans le premier village où devait se dérouler la réunion, Uitikon.
Sur place, sept intervenants, tous actifs dans des associations de défense des hommes battus, abusés ou simplement plumés par leur femme, se partagent 150 participants (dont 8 femmes). Omniprésent, le fondateur du mouvement antiféministe, René Kuhn, ex-politicien de l’UDC lucernoise, toujours accompagné de sa belle épouse russe, Oxana.
Pendant qu’au centre-ville quelques activistes anti-antiféministes manifestent contre le congrès, les discussions tournent ici autour du droit des pères divorcés et surtout du «complot féministe». Ce lobby serait si puissant qu’il aurait réussi à donner plus de droits aux femmes qu’aux hommes. «L’égalité est morte, il faut corriger ça d’urgence!» clame George Zimmermann de l’Association allemande de défense des hommes divorcés.
A 16 heures, le congrès terminé dans le calme, René Kuhn est fier de son coup: il n’aurait jamais réussi à réunir autant de monde sans la «provocation que constitue l’utilisation du terme antiféministe."

Valentin sourit en secouant doucement la tête, et regarde la date au coin de la page: 30 octobre 2010… comme cela parait loin. Heureusement que cette époque est révolue.

Déjà 7 heures, les escarpins brillent, il est temps d'aller réveiller les enfants. Réjane, l'aînée, est brillante à l'école et Valentin fonde de gros espoirs en elle. Sébastien, le cadet est un gentil garçon. Noël approche et il va falloir penser sérieusement aux cadeaux. Pour sa fille c'est décidé, Gertrude a choisi la dernière tablette informatique polyfonctionnelle, un tout en une qui permettra à Réjane d'étudier, de communiquer, de s'informer et de se distraire. Valentin se remémore les jouets qu'il avait reçu lorsqu'il avait l'âge de son fils: Une panoplie de cow-boy, un sabre de la guerre des étoiles, une moto à pédales… Valentin réalise furtivement qu'aucun de ces jouets n'existe plus aujourd'hui, "et c'est sans doute mieux ainsi", pense t'il.

Avant de traverser la rue, Valentin regarde soigneusement si aucun véhicule surgit du brouillard ne risque de le renverser. "Les engins à moteur thermique de mon enfance étaient certainement aberrants du point de vue du développement durable mais au moins, on les entendait venir de loin" se surprend t'il à penser.

Une fois dans le tramway, il rêvasse à son foyer qu'il vient de quitter. Gertrude accompagnera les enfants à l'école avant de se rendre à son travail avec leur monospace. C'est vraiment une femme formidable Gertrude. Elle était enceinte de Réjane quand il l'a connu. Il se dit qu'il a eu de la chance car elle aurait bien pu faire sa vie avec un autre.

A la descente du tramway, des mendiants visiblement avinés essaient de récolter quelques pièces. Valentin a du mal à comprendre comment ces hommes ont pu en arriver là. "Avec tous les dispositifs sociaux mis en place par l'administration, ils n'ont aucune excuse" maugrée t'il intérieurement. Bien sûr, la responsable de l'opposition a beau jeu de dénoncer cette situation et d'accuser la ministre de la concordance sociale pour en tirer parti. Valentin trouve que ses arguments sont valables mais il n'est pas convaincu par cette politicienne chevronnée. De toute façon, la politique, ce n'est pas son truc, et il n'en comprend pas toutes les subtilités.

En arrivant au travail, il salut Mathilde, sa cheffe de service, en évitant soigneusement de regarder dans son décolleté. Comme beaucoup de femmes, Mathilde s'est fait refaire la poitrine au frais de la sécurité sociale dans le cadre du programme "harmonie corporelle pour toutes" grâce auquel elle a pu faire valoir ses droits.

Valentin rejoint sa place devant son écran et se met immédiatement au travail. Il s'entend bien avec ses différents collègues qui font le même travail que lui, mais il a appris à les connaître. Il se méfie toujours un peu de José, le grand brun toujours bronzé. Bien sûr, il n'apporte aucun crédit aux ragots qui prétendent qu'il est l'amant occasionnel de Mathilde. C'est d'autant plus absurde que Mathilde est une femme mariée et une mère de famille. Toutefois, il est assez fin pour avoir remarqué qu'il existe tout de même une certaine complicité entre eux. C'est par exemple toujours à José que Mathilde demande de porter les dossiers qu'elle ramène à la maison. Il faut dire que la voiture de fonction de Mathilde est garée au troisième sous-sol du parking de la direction et que José est plutôt costaud.

La pause de 10 heures. Valentin réajuste sa coiffure et vérifie son allure dans le miroir des toilettes des hommes. Se promener dans les couloirs avec un pan de chemise qui sort du pantalon ou une mèche en épis est le genre de situation qu'il souhaiterait éviter autant que possible. Bien que cela soit rare, il peut arriver que la présidente du groupe soit amenée à se déplacer dans les couloirs de son service.

Arrivé dans la salle de pause, Valentin se sert un thé vert à la menthe. Il aurait préféré un smoothy pomme-agrume mais il a peur que cela le fasse grossir, et ça, il ne le veut à aucun prix!

Dans un coin de la pièce, avachi sur un fauteuil de relaxation, il y a Bernard, un type entre deux âges un peu déplumé. Bernard bois un café noir et sans sucre, son aspect est un peu négligé. Il parait qu'il aurait tendance à boire depuis qu'il a été placé en logement transitoire par la juge en charge de son divorce. Valentin a presque pitié de lui en le voyant. Les chewing-gums qu'il mâchonne régulièrement masquent son haleine mais l'odeur de ses vêtements le trahis: Bernard fume au cours de la journée et qui plus est, sur son lieu de travail. S'il est pris sur le fait, c'est le licenciement immédiat. Quel gâchis! Finalement, il n'est pas étonnant que sa femme ait voulu le quitter, il doit même l'avoir bien cherché.

Valentin détourne son regard de Bernard, jette son gobelet dans la poubelle que l'homme de ménage vient de vider, puis regarde sa montre. Il est temps de retourner à son travail, plus que 2 heures avant le déjeuner.

dimanche 21 novembre 2010

Rencontre avec Kevin

"Emmanuel, euh, tu dragues les gays en montrant ton cul comme cela ?"

Que n'ai-je considéré cette question, apparemment moqueuse, avec le plus grand sérieux. Philippe connait les secrets de la vie et de l'univers, il vole avec les esprits et parle avec les divinités, ce qu'il dit n'est jamais anodin. En effet, et malgré mes laborieuses dénégations visant à conjurer le funeste augure, c'est bien un jeune homme qui semble avoir été irrésistiblement attiré par ma plastique. Cela parait fou mais moins de six heures après que Philippe eut formulé sa prémonition, celle-ci s'accomplissait d'une manière implacable.

Photo de Philippe posant devant son cabinet


Je n'aurais jamais cru que j'allais me ruer entièrement nu sur un jeune homme de dix-neuf ans, que j'allais me saisir de lui, le pousser de force dans les toilettes et l'y maintenir pendant de longues minutes, jusqu'à ce que mon fils soit obligé d'appeler les forces de l'ordre pour faire cesser cette odieuse situation. J'imagine bien que vous-même avez de la peine à concevoir qu'un brillant sujet tel que moi ait pu être l'acteur d'une telle ignominie mais c'est pourtant l'exacte vérité sur des faits réels s'étant déroulé dans la nuit de vendredi à samedi.

Ce 20 novembre, m'étant couché vers deux heures du matin, je ne dormais pas lorsque, quinze minutes plus tard, j'entendis un bruit au rez-de-chaussée puis dans l'escalier qui monte à l'étage. Pensant qu'il s'agissait de mon fils, je me levais pour lui demander d'être plus discret dans ses déplacements nocturnes. Bizarrement, les pas s'inversaient dans l'escalier alors que j'ouvrais la porte de ma chambre. Etonné par cette volte-face, je me penchais au dessus de la rambarde pour interpeller mon héritier. C'est alors que je l'aperçu, beau jeune homme de type Européen (1) gambadant dans l'entrée de ma demeure, Kevin C se dévoilait à moi.

Aussitôt, brûlant de le connaitre, je dévalais l'escalier à mon tour pour me jeter à son cou. A peine l'avais-je rejoint que je le pressais de question, je voulais tout savoir de lui:

"Qui es-tu, comment t'appelles-tu, d'où viens-tu et que fais-tu ici?"

Le charmant Kevin, sans doute intimidé par l'intérêt que le lui portais, peut-être même effrayé par la rudesse de notre étreinte, souhaitait quitter mon domicile sur le champ et, désarmante fraicheur juvénile, m'assurait ne pas savoir ce qu'il faisait là. Ne pouvant me résoudre à laisser s'enfuir l'objet de mes ardeurs je le poussais alors dans les toilettes et l'y maintenais, je dois bien le reconnaitre, contre sa volonté. Etait ce l'exubérance qui m'habitait, était ce la volonté de le convaincre de rester, le ton de ma voix était élevé au point que mon fils descendait à son tour de sa chambre.

A ce stade du récit, je dois préciser que si je me parfumais au Chanel N°5, je pourrais dire comme Marylin Monroe que je ne porte rien d'autre la nuit. En d'autres termes, je dors un peu comme sur la photo d'Août de mon calendrier, le masque en moins. C'est donc nu comme un ver et en compagnie de Kevin que mon fils me découvrait dans les toilettes… Pour mettre fin à cette situation torride et pouvoir revenir à une attitude plus décente, je l'enjoignais alors de contacter la maréchaussée et de me procurer un vêtement d'intérieur.

Par un hasard extraordinaire, il se trouve que les deux fonctionnaires de police invités à notre petite fête impromptue connaissaient déjà mon nouvel ami Kevin. Sans doute un peu jaloux de ma bonne fortune, ils décidaient de l'emmener avec eux pour une autre fête se déroulant au commissariat et déjà mélancolique, je les vis s'enfoncer tous les trois dans l'obscurité hachurée par le faisceau lumineux de leur gyrophare.

(1) "de type Européen", c'est bien ainsi que le fonctionnaire ayant recueilli ma plainte a décrit l'individu que j'ai découvert dans ma maison.

mercredi 17 novembre 2010

El Gringo, la légende

Si vous êtes en train de lire cet article, c'est peut être parce que vous avez traîné vos guêtres sur l'excellent blog de Philippe psy. Outre mon pseudonyme assez régulièrement présent dans les commentaires et le nom "Misandrie" figurant à la rubrique "liens réciproques", j'ai l'honneur d'être le héros occasionnel de ses articles car comme le dit Philippe lui même: "tu es une source inépuisable, tu es mon Gabin, j'adore te faire tourner en te donnant le premier rôle".

Et effectivement.

Mais son imagination étant sans limite, les scénarios qui me mettent en scène ne me représentent pas forcement à mon avantage. A de rares exceptions près, je suis plutôt dépeint comme une brave brute inculte, une sorte de beauf sympathique et un peu obsédé sexuel, ou comme un vieux garçon rétrograde et un peu bougon, naufragé du XXème siècle dans l'océan du XXIème. Je suis donc acteur malgré moi des nouvelles teintées d'amertume du Maupassant de la psychothérapie.

Bien entendu, ces histoires improbables, voire rigoureusement impossibles racontent l'histoire d'un personnage dont je ne serais que l'interprète et étant le mieux placé pour connaître la réalité des faits, je me délecte d'autant plus de leur caractère fictif.

Mais ces fictions, à quel point sont elles confondues avec la réalité dans l'esprit des nombreux amateurs du blog de Philippe? A vous cette question peut paraitre futile mais à moi pas du tout, car c'est mon image personnelle qui est en jeu! A mon grand étonnement, Philippe rapporte dans un de ses articles qu'un de ses jeunes lecteurs a pris au premier degré la saynète qui lui était contée. Mettant ce manque de discernement sur le compte de la différence d'âge, Philippe nous explique que les jeunes ne respectent rien, ce qui est loin d'être totalement faux. Mais sont-ils les seuls à tomber dans le panneau? La lecture des commentaires accompagnant ce même article me laisse supposer le contraire. Diderot a beau faire la part des choses entre l'acteur et son personnage, les spectateurs continuent de les confondre.


Diderot aurait été consultant pour Pagnol, parait-il...


Ayant fait part de mon étonnement à Philippe, il m'expliqua doctement que les humains donnent plus de valeur à leurs croyances qu'à la réalité. Peu importe que Nietzsche ait énoncé, il y a plus d'un siècle que "La croyance forte ne prouve que sa force, non la vérité de ce qu'on croit", ils continuent à préférer la légende à la vérité. J'ai donc le privilège d'avoir ma propre légende et la disgrâce qu'elle ne soit pas toujours flatteuse. Dès lors, l'impérieuse nécessité de corriger la fallacieuse image qui a pu être donnée de moi m'apparait clairement.

Mine de rien, j'ai déjà commencé en parsemant mon texte de références littéraires et philosophiques laissant croire à ma grande érudition.


Cliquez sur l'image, chaque participante gagne un lot!


Mais il me faut aller plus loin en prenant le contrepied systématique des assertions fantaisistes écrites à mon sujet. Je dois donc m'efforcer de paraitre délicat, intelligent, distingué et bien en phase avec l'époque actuelle. Un type qui boit des smoothies, fait du vélo pour lutter contre le réchauffement climatique et son embonpoint, se tartine avec des crèmes de nuit, se fringue chez Zadig ou à défaut dans une boutique de commerce équitable, hante les happenings parisiens branchés et va voir les films d'art et d'essai. Bref, une sorte de "pédale hétérosexuelle", si vous me pardonnez l'oxymore. En un mot: un métrosexuel.


Je ne bois plus que ça.


Mais le dire est une chose et le faire en est une autre. Par quoi vais-je commencer pour atteindre mon but? Il me faut quelque chose de visible, quelque chose qui frappe les esprits et forge ma légende, même si c'est complètement futile. L'important est que le message reste gravé dans les esprits. Pour me défaire de l'image vieillotte qui me colle à la peau, je dois faire quelque chose qui soit frappée du sceau de la modernité quelque chose qu'un Gabin ou un Ventura n'aurait jamais fait. Il faut aussi démontrer le soin que je prends de mon corps et de la nature, sans oublier l'aspect artistique de la chose.
Pour respecter ces différents critères, une idée me vient à l'esprit: A l'instar des saltimbanques ou des sportifs, je vais montrer mon cul!

Bien sûr, le motif officiel de cet exhibitionnisme sera une bonne cause au profit de laquelle un calendrier sera vendu avec une photo de Gringo tout nu pour chaque mois de l'année. Je vois bien Janvier allongé sur une fourrure, Mai sur une balançoire, Septembre dans les vignes, etc., etc., vos idées sur le sujet sont les bienvenues.
En guise de bonus et pour attirer le lecteur (et surtout la lectrice!), je vous offre déjà le mois d'Août.